Entre l'eau et l'huile - A la recherche de la Joconde

Il s'agit d'un rouleau horizontal de peinture à l'huile sur toile mesurant deux mètres dix de haut sur dix mètres de long. L'ensemble de ce travail représente un espace étendu sur des scènes de rencontre entre un peintre taiwanais et le musée du Louvre, entre les œuvres exposées et les visiteurs internationaux, comme une série de peintures rassemblées sur une seule toile. Ces variations autour d'un même sujet créent notamment un jeu entre l'unité et la multiplicité. Ils me permettent de retranscrire, d'un moment à l'autre, les changements d'atmosphère, et donc de saisir le rythme du musée avec un regard ironique, critique et empathique, porté sur les spectateurs dans un espace d'exposition, dans le contexte du début du XXIe siècle.

Ce rouleau explore également l'aspect microcosmique et pluri-temporel du musée où tous les temps superposés, simultanés et continués, sont à la fois en mouvement et en suspens, sur un rythme harmonieux.

Chaque partie exposée dévoilera un espace d'entre-deux du rouleau, le début, le milieu ou la fin, en fonction de ce que je veux montrer, de ce que je veux livrer ou garder, et de l'espace d'exposition. La partie exposée montre le visible laissant à chaque spectateur la possibilité, l'envie de voir l'invisible, donnant une impression de continuité, d'écoulement du temps et de circulation du regard. Il s'agit ainsi d'une interaction entre la continuité apparente et la continuité imaginaire. Il y a un dialogue entre les spectateurs dans le tableau et les spectateurs devant le tableau.

Devant ce rouleau, nous somme invités à expérimenter une résonance entre les notions de vide et de plein, qui sont associées à de nombreuses autres oppositions complémentaires notamment la visibilité et l'invisibilité, le net et le flou, la couleur et le camaïeu, le linéaire et le pictural, la planéité et la profondeur ainsi qu'un jeu entre le font et la figure. Le vide et le plein, par leur interaction, se mettent en valeur réciproquement et engendrent le mouvement du souffle pictural qui anime et circule dans ce que je nomme un contraste harmonisé.

Au fur et à mesure que le rouleau est déroulé, les scènes de Musée en peinture sont reliées entre elles par les vides médians, le souffle pictural et le déplacement des spectateurs. Un fil conducteur renforce cette interaction par l'introduction de l'autoportrait, intimité du peintre, qui rompt l'anonymat des figures dans le lieu de la peinture en créant un lieu de rencontre entre amis, lieu de rencontre mais aussi de souvenir : le temps retrouvé de chaque étape, de chaque année de mon séjour en France.
La méthode de ce travail n'emploie pas beaucoup de couleurs, mais quasi exclusivement des nuances. Une couleur sépia diluée me permet de marquer les tonalités, la distance et la profondeur, de souligner les valeurs principales et les contrastes d'ombre et lumière, comme dans la notion du Pinceau-Encre de la peinture chinoise, où l'encre noire, par ses nuances, peut incarner toutes les variations de couleurs qu'offre la nature.

L'expérience de la peinture à l'encre et l'expérimentation des techniques occidentales me donnent l'occasion de créer un dialogue entre deux méthodes artistiques, dans mes peintures, où la toile et l'huile prennent le relais du papier et de l'encre. L'expression de mes tableaux répond à la question de la rencontre entre l'eau et l'huile, par l'utilisation de cette technique, par l'harmonisation des contrastes, par la finesse du trait de pinceau et l'effet de nuances dégradées (comme l'encre de chine). Mon travail : Musée en peinture - A la recherche de La Joconde nait de cette assimilation transculturelle.

LIN Shen-Te